jeudi 2 juillet 2015

ABf 1.6

Un slogan ? Un slogan ! C'est une blague ? Un virus informatique ? Un message viral stupide ? Un pantin s'est emparé du code-source de H2O et a trollé ses fonctionnalités pour balancer cette... "idée" digne d'un publiciste ?
Les hypothèses se bousculent dans ma tête de pioche. A quoi ça servirait, franchement ? Est-ce que des gens qui foutent le camp pour toujours ont quelque chose à prouver ? Voire seulement à montrer ?
Et puis, "slogan", c'est du vieux gaélique qui signifie "cri de guerre" ; ça me paraît plutôt contre-indiqué, non ? Si on croise des extra-terrestres ou des choses de l'espace et qu'on leur brandit ça sous le nez, ça fera plutôt mesquin, non ?
Ou alors, justement, il faudrait trouver la bonne phrase, celle qui fait plaisir, qui rassure, qui illumine les négociations en les mettant sur les bons rails. Ce qui est complètement idiot puisque les chances que des Aliens la comprennent sont aussi minces que la couche d'électrons externe d'un atome d'hydrogène.
Bon sang, ça ressemble vraiment à une idée de boy-scout. Pourquoi a-t-il fallu que certains d'entre eux parviennent à se faufiler à bord ? Dans quel piège me suis-je fourré, maintenant ? Je veux rentrer chez m-
Je n'ai plus de chez moi ; je l'ai vendu un dollar symbolique. Et je m'aperçois que j'ai encore raté Ylan ! Une belle journée qui s'annonce, oui...
Et qu'est-ce que c'est que cette histoire de privilège accordé au vainqueur ? Je croyais qu'on était là pour fonder une nouvelle humanité, une FAD (Fucking Awesome Democracy) authentique, sans compromis ni hiérarchie ni anguille sous roche ni lézard...
Tu parles ! A tous les coups, il n'y a que moi sur les Dix mille à avoir compris ça. A l'avoir cru. Je nage en plein délire, comme d'habitude. Et la réalité vient de me claquer de plein fouet à la face. Bille de clown que je suis.
Le projet Haniwa est comme les autres ; comme Mars-One ou Nowhere Island. Comme les Phalanstères de Fourier et les communautés hippies... Des trucs tout mignons qui n'ont pas résisté à l'épreuve de la réalitude (l'étude de la Réalité). Des trucs bateaux et creux, pour permettre aux ânes d'exprimer leur médiocrité. (Zut ! Je viens de perdre 2563 amis sur le réseau.)
Pendant que j'y pense, ça pourrait faire un bon slogan, ça : NOUS ÉTUDIONS LA RÉALITÉ. Si on fait précéder de PAS UN GESTE !, ça prend une tournure flicarde qui doit être plus proche de ce qui va se passer.
Mais pourquoi je réfléchis à ça, moi ? Je m'en fous, de leur concours à la mords-moi le mollet. Pourquoi pas dessiner un drapeau aussi, pendant qu'ils y sont ?

Avec tout ça, j'ai failli rater la nouvelle la plus importante du "matin" : à savoir que cette fois, ça y est, la date du Grand Départ a été fixée. Au 31 juillet 2053. C'est-à-dire dans une semaine.
Plus que sept jours/nuits dans le giron gravitationnel de notre mère la Terre (et de notre tata la Lune) et ensuite... adeus ! Dix mille têtes brûlées vont aller voir ailleurs si l'herbe est plus verte ; en essayant de ne pas trop penser aux onze milliards et des poussières qui vont rester en bas, à crever lentement de toutes les manières possibles et imaginables, voire la pire de toutes : de vieillesse.
Il paraît qu'un rassemblement de nations de l'hémisphère sud a décidé d'ouvrir le continent antarctique à la colonisation. Comme toujours, les pouvoirs publics entérinent les faits avérés. Il y a belle lurette que des bidons-villes se sont créées spontanément sur la péninsule antarctique ; des réfugiés chiliens, argentins, brésiliens, péruviens et autres ont organisé des communautés au fur et à mesure, et tout s'est très bien passé. Les autorités ont commencé par faire semblant de ne rien voir, puis se sont aperçues que ça coûterait trop cher d'aller les déloger. A mon avis, elles ont essayé une ou deux fois et se sont pris une déculottée. D'après ce qu'on raconte, ce sont des Indiens du Chiapas qui organisent les défenses ; même que la fille du sous-commandant Marcos n'aurait pas du tout été assassinée et qu'elle aurait pris les choses en main. Enfin, pour ce que j'en sais ; l'Antarctique périphérique est devenu vivable à cause du... pardon, grâce au réchauffement climatique, mais ça reste quand même un sacré trou paumé. D'un autre côté, ça ne change pas beaucoup des conditions de vie que connaissent les Indiens d'Amérique depuis l'arrivée des Blancs.
Mais je m'égare.

Quitte à prendre un slogan, on pourrait aussi brandir des exemplaires de l'Eloge de la fuite de Laborit. S'il existe une version klingon, ça pourrait fonctionner.
A part ça, on fait quoi, en attendant ? Je sais bien que tout est programmé, automatisé, etc (du moins, je l'espère). Mais enfin, on va quand même avoir des trucs à faire, non ? Du concret. Autre que la bouffe, le ménage, soigner les bobos et... se reproduire.
Mais au fait, je ne suis toujours pas ménopausée, moi ! C'est pour ça qu'ils m'ont sélectionnée. Pour servir de génisse. Oh, c'est pas vrai !
Il faut que je reste planquée jusqu'au départ.
Réflexion faite, il vaut mieux que je me planque ensuite, après le Lancement. D'ici là, je vais me montrer à tout le monde, faire la sociable, et hop ! le jour du départ, je m'enterre dans un coin. On croira que j'ai sauté à la dernière minute. Tiens, je vais fréquenter un peu plus le Dr Turman ; elle a l'air moins "Âge de cristal" que les autres, sous ses faux airs timides.
Moralité, faut que je me prépare une planque.

J'emballe mes affaires allégées par la disparition de mes crayons et je pars à la recherche de Burkina le robot. Aucun mal à le trouver : il est à sa place, au carrefour de tapis roulants, là où je l'ai rencontré la première fois.
Burkina !
Bonjour, Sophie Mars, me dit-il.
Il a un bon logiciel de reconnaissance faciale, c'est déjà ça.
Burkina, mon poussin... Trouve-moi quelque chose à faire pour toute la semaine, s'il te plaît. J'en ai marre d'être seule.
Il y a une série d'ateliers de résolution de problèmes. Lesquels seraient susceptibles de vous intéresser ?
Tous. Inscris-moi au plus grand nombre possible.
Même l'ingénierie scientifique appliquée ? Votre dossier n'indique aucune form-
Ta gueule ! Inscris-moi partout et prépare-moi un planning optimal.
C'est fait. Je vous ai concocté un emploi du temps pratiquement sans temps mort. J'ai mis l'accent sur vos compétences de dessinatrice ; elles seront utiles pour élaborer un système de repérage dans Haniwa à l'attention des personnes non habituées à l'espace. Je vous énonce le programme ?
Non, euh... Imprime-le, plutôt.
Il me sort aussitôt, d'une fente, un rouleau de papier étroit et long comme un jour sans nuit, où les caractères sont aussi serrés que des vers dans une boîte d'appâts.
Ouh là... Par quel bout je commence ?
Vous êtes attendue dans onze minutes à l'atelier Reconnaissance et Entretien des Matériaux aéronautiques, point HY-24.
Je fonce... C'est par où, déjà ?
Son écran sort de veille et il me montre l'itinéraire. Au bout de deux minutes de consultation, je n'ai toujours pas compris où je suis. Et ils voudraient que je prépare un guide de repérage à bord ? J'en rigole d'avance.
C'est déjà ça.

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